Erik Satie

Publié le par Gaspard Elliott


«Il faudrait que l'orchestre ne grimace pas quand un personnage entre en scène. Est-ce que les arbres du décor grimacent ? Il faudrait faire un décor musical, créer un climat musical où les personnages bougent et causent. Pas de couplet, pas de leitmotiv, se servir d'une certaine atmosphère de Puvis de Chavannes !»

L'un des fleurons du drame lyrique à la française naquit un soir de 1891,  autour d'une table de l'auberge du Clou,
au cours d'une conversation entre deux confrères qui se connaissent peu encore, mais qui dorénavant, ne finiront plus de se se croiser. Peu après, Debussy obtenait l'autorisation de Maeterlinck et débutait Pelléas et Mélisande. "Le chef d'oeuvre est à qui le décroche" dit Cocteau.  Mais le Maître d'Arcueil, très admiré de son aîné, était déjà un insatiable précurseur, marchant seul et n'imitant personne, pas même lui-même. "Si quelqu'un trouvait quelque chose de vraiment neuf, je recommencerais tout" disait-il avec sincérité.

Comme Debussy, il est soucieux d'être avant tout personnel - personnel et Français. En posant la question qui dérange, il formule l'hérésie de la fin XIXème : y-a-t-il une vie derrière Wagner ? "Assez de Wagner ! C'est beau, mais ce n'est pas de chez nous !" C'est l'époque où tous les musiciens du monde jouent allemand, rêvent Bayreuth, traînent la savate de leur petite oreille musicale dans les opéras du maître, dont ils recyclent à moindre frais les innombrables innovations. La musique continue de payer l'héritage de Wagner, des complications dramatiques, les garde-robes en peaux de biche, les personnages traînant leur letmotiv comme des âmes en peine et s'habillant à la mode Wotan. Il fallait être révolutionnaire, Satie le fut de la plus sublime des manières: en restant simple.

Debussy inlassablement, encourageait ses contemporains à revenir aux sources, à Bach, à Rameau. Satie dès 1888 compose les Ogives, d'influence moyennageuse, et les Gymnopédies, comme une réaction salutaire et utile aux excès de Bayreuth. Ces pièces minuscules de deux petites minutes reflètent un idéal sobre jusqu'à l'inexpressivité, débarrasé des ornementations fiévreuses et démentielles du drame lyrique wagnérien. Ceux qui ignorent que c'est le pléonasme d'un artiste le qualifièrent d'excentrique : ils ignorent que "tous les grands artistes sont des amateurs".

Conscient de défendre un art futile et léger, il
avait le goût, dans la vie comme dans son art, du détail absurde, du non-sens cool, comme l'attestent certains titres surréalistes de ses oeuvres, que l'on croirait le résultat d'une partie de cadavre exquis: 3 valses du précieux dégoûté, Pièces froides, Véritables préludes flasques pour un chien, Vieux sequins, Sonatine bureaucratique, Croquis et agaceries d'un gros homme en bois, Chapitres tournés en tous sens, Airs à faire fuir.

Ce clown triste, faux dilettante, qui mit réellement, sans publicité, du génie dans sa vie, et en eut suffisamment, en quantité originale, pour en garnir son oeuvre, est le sujet d'anecdotes merveilleuses et poétiques, qui terminent de le classer à part. L'anecdote d'après sa mort, quand ses amis trouvèrent chez lui un tas de lettres reçues non décachetées, mais auxquelles il avait répondu, est de celles qui le placent au-dessus de la vie.


Publié dans Blue Note

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