Les Martyrs de François-René de Chateaubriand

Publié le par Gaspard Elliott


"On m'imputa à crime d'avoir transformé la druidesse germaine de Tacite en gauloise, comme si j'avais voulu emprunter autre chose qu'un nom harmonieux !"

Le genre épique est le parent pauvre de la littérature française: au sortir du XVIIIe siècle, elle ne peut s'enorgueillir d'aucune satisfaction:  La Henriade de Voltaire, est tombée en désuétude; la Franciade de Ronsard, que son auteur jugea bon de ne pas achever, est une curiosité; les didactiques Aventures de Télémaque de Fénelon, tiennent du roman d'aventures plus que de l'épopée.

Si l'on veut bien mettre de côté La Légende des siècles et
sa suite de petites épopées, la seule tentative française digne d'attention réside dans Les Martyrs de Chateaubriand. Pourtant on ne manqua pas, la poétique d'Aristote en main, de lui refuser cette qualité, en raison du penchant de l'auteur pour la prose. Après avoir sonné le renouveau de l'art dans le Génie du christianisme, l'Enchanteur conçut le vaste projet de faire une épopée grandiose, qui donnerait à la France en monnaie courante le change des poésies de génie célébrées par l'auteur, de Milton, du Tasse, de Camões.

Sur un thème similaire aux Aventures du dernier Abencérage - deux êtres que leurs croyances opposent s'éprennent l'un de l'autre - l'épopée des Martyrs narre l'histoire malheureuse, durant le règne de Domitien, au Ier siècle, des amours d'Eudore, un officier romain converti au christianisme, et de Velléda, une prêtresse gauloise, qu'il fit délivrer après sa capture par Rutilius Gallicus et sa conduite à Rome, pour avoir soutenu la révolte des Bataves avec Civilis, contre l'empereur Vespasien.

La fortune du livre fut diverse: du vivant de l'auteur, il y eut quatre éditions successives. Pourtant l'ouvrage fut presqu'unanimement critiqué. On ne manqua pas d'attaquer l'oeuvre point par point: sur le choix du sujet, sur la vérité historique; on insulta la foi de l'auteur, on mit en doute ses intentions, pour avoir osé la confrontation des deux cultes - le culte païen et le culte chrétien, et pour avoir peint le sentiment religieux des adeptes du culte païen dans la même ferveur de transport que les premiers chrétiens. L'auteur avouait que le merveilleux y tient une grande place: "Le défaut des Martyrs tient au merveilleux direct que, dans le reste de mes préjugés classiques, j'avais mal à propos employé." Le coup fatal fut porté par ceux qui le qualifièrent de pastiche - opinion qui dure encore.

"De tous mes écrits, c'est celui où la langue est la plus correcte." C'est aussi celui où elle est la plus harmonieuse. Dans le combat de la littérature de style contre la littérature des idées, il faut choisir son camp. La littérature de style forme une caste
d'initiés, une littérature à part, qui sacrifie tout au rond de la phrase. Sans doute l'avantage du nombre appartient à la littérature d'idées: le XXème siècle, dont nous ne sommes pas sorti littérairement parlant, est pour elle. Il est donc d'autant plus urgent de remettre les stylistes au goût du jour


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