Aubrey Beardsley

Publié le par Gaspard Elliott


"Le dandysme a sa racine dans la nature humaine de tous les pays et de tous les temps, puisque la vanité est universelle"
(Barbey d'Aurevilly)

Le dandy ressurgit aux époques finissantes. C'est un funambule dont l'éclat de la toilette repose sur un précaire équilibre, qui menace de s'effondrer, sans espoir de rachat, au fond du ridicule. Sa dernière incarnation, avant la chute, prend vie dans les grotesques formes ink and paper des oeuvres  d'Aubrey Beardsley.

Au royaume du cant plus qu'ailleurs - l'aristocratie y a gardé la tête sur les épaules - le dandysme fin de siècle est une monstruosité : dans un pays où les titres, pas plus que les fortunes, n'ont souffert de la politique, le combat des Beaux et des Belles est une course à la surenchère, un simple glissement de terrain des rivalités d'amour-propre de la high life, dont le résultat est plus frappant que les chiffres et le calcul : l'influence et le pouvoir se mesurent dans l'épaisseur de l'habit, dans la hauteur du talon.

On est loin du dandy parisien déclassé cher à Baudelaire, du parvenu de Balzac, de Stendhal.

Chez Beardsley, le dandy anglais qui écume les salons du Londres des années 90 (XIXème) est très différent du dandy anglais des années 1800 : la toilette n'est plus "le symbole de la supériorité aristocratique de son esprit"(Baudelaire), mais la vitrine de sa richesse.

Dans la Haute Société anglaise 
règnent l'orgueil immodéré et le sadisme. Le dandy est un fat aux prétentions extraordinaires d'élégance et de beauté, un Caligula de la mode. C'est un despote au goût inique, un fou qui soulage ses pulsions morbides dans les excès de la toilette, et qui s'habille avec violence. Il est primitif, vulgaire, odieux, et parfaitement infréquentable. Les femmes ont la folie des miroirs, affichent des airs narquois, moqueurs; ce sont des jalouses, des envieuses insensibles et sans moralité.

On trouve une atmosphère similaire dans les illustrations de Salomé. L'orientalisme en vogue avait ramené en France la mode de l'ésotérisme et des cultes dépaysants: Nerval épris d'Isis, Gautier de Cléopâtre, puis Flaubert et Mallarmé d'Hérodias, enfin Moreau de Salomé - autant d'incarnations de la Déesse, des mystérieux cultes d'Orient.

L'influence de la Salomé de Moreau est énorme. Elle est l'une des clés de l'univers symboliste et donne le vertige aux décadents. Oscar Wilde n'a pas manqué de la connaître, et à défaut de la sentir, il l'a contemplée: il en a tiré une pièce médiocre, en un acte, écrite en français pour Sarah Bernhardt, puis retraduite en anglais, mais qui ne vaut guère mieux, par Lord Alfred Douglas.

Son édition en 1894 est remarquable pour les planches de Beardsley, qui contrairement à l'oeuvre qu'il est censé illustrer, embrasse le mythe avec assez de vigueur pour se l'approprier. 

Dans cette série, Beardsley soustrait l'influence de Watteau à l'art Antique et aux estampes japonaises : il mêle les profils grecs aux robes et motifs de la mode nippone. Le grotesque éclate dans les visages dégénéré
s des figures secondaires, déformés par les passions cruelles, qui ne dissimulent rien de leurs vices ignobles.  Salomé est à la fois sublime et ridicule d'élégance, dans sa robe de satin qui ne lui permet pas d'avancer. Le paysage est à la fois vide et désolé comme chez Dàli, et rempli de végétations fantasmatiques et de symboles.

Avec une palette limitée à trois couleurs, la technique de Beardsley vise à tirer le maximum de l'encre et du papier. Le dessin brode comme une aiguille des robes de soie, de satin, des écharpes de gaze, des crinolines. La couleur est suggérée dans le détail des formes, les parures éclatent comme les orfèvreries des maîtres de la peinture. Son imagination sans complexe lui fournit matière à des représentations lumineuses, quoique dépourvues de soleil. Le charme supernaturel de ses compositions le place à l'avant-garde des surréalistes  : avant eux il devine la beauté cachée derrière les visions du rêve et de l'hallucination.

Galerie

                                                                                                                

Publié dans Visions Of Ecstasy

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