Francisco Goya

Publié le par Gaspard Elliott


"Je ne distingue que des corps lumineux et des corps obscurs; des plans qui avancent et des plans qui reculent; des reliefs et des concavités."

On pourrait résumer l'impression de sa peinture par cette citation des Diaboliques : "Je me figure que l'enfer vu par un soupirail devrait être plus effrayant que si d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier".

Après 1793, face au glissement des consciences, de la foi vers la raison, et à la nouvelle idéologie triomphante du progrès, qui s'installe en Europe, Goya reste sceptique: il a fréquenté les cours d'asile, et recueilli les confidences des rêveurs éveillés. Il a entrevu les là-bas de l'âme, qui ne troublent rien en surface, mais travaillent en soubassement et entament les fondements de la psyché, et il s'est demandé, avec inquiétude : que reste-t-il à ceux que la raison abandonne ?

Ses peintures ont saisi de l'Enfer l'esprit des lieux; on s'y amuse atrocément, autour d'une table d'orgie, entre convives anthropophages. Ses représentations de festivités antéchristiques montrent une réalité craquelée, prête à céder car pressée de toutes parts, et à capituler devant le cauchemar.

L'artiste, isolé dans un monde de silence, prend conscience du néant qui le guette, et se sent démuni car pris entre deux feux : c'est une époque ambivalente, de la Terreur, excès de l'homme affranchi devenu fanatique de la raison, et de l'Inquisition, encore très active en Espagne aux alentours de 1800.

Le Goya moraliste éclate dans les gravures: les 80 Caprichos sont des fables, des critiques tournées contre la vaniteuse noblesse, la bourgeoisie suffisante, qui se flattent d'illusions solides et s'admirent dans toute la splendeur de leur grotesque. Si Goya n'est pas tendre avec les hommes, c'est que l'humanité n'est qu'un masque.

Le Goya sceptique n'est pas en reste. L'allégorie du Caprice n° 63 est de mauvais augure: chasser le chistianisme, c'est laisser le champ ouvert au pire obscurantisme; c'est l'assurance de voir resurgir les cultes antiques et païens.

C'est voir  régresser l'homme dans ses croyances - la figure d'âne est omniprésente dans les gravures - et replonger dans l'idolâtrie, symbolisée par la figure d'aigle, rappelant les divinités de l'Egypte Antique, et les superstitions, figurées sous les traits d'un bouc difforme.

Méfions-nous de l'humanité : tel pourrait être également
le message du Caprice n° 43, le sommeil de la raison. Les Lumières y sont mis en ballotage. La pose est équivoque: l'homme est aussi bien assoupi, qu'en proie à une terrible détresse. Dans les deux cas, il est impuissant à repousser les angoisses qui prennent forme en lui : la raison endormie, qui va garder la boîte de Pandore ?

Les intuitions de Goya ont trouvé un écho qui dépasse le cadre de la peinture. Le thème de la raison endormie fera la fortune des premiers romans noirs, des contes d'Edgar Poe, de Nodier, d'Hoffmann. Il a fondé la branche grotesque dans l'art : Rops, Beardsley, Kubin sont ses héritiers.

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